J'étais devenue une machine à chanter...
Un peu plus de douze mois (14 exactement) après mon gros craquage émotionnel de l’an dernier, je parviens désormais en parler avec un certain recul.
J’ai écris quelques billets ici, publiés quelques statuts sur mes réseaux sociaux, mais ils étaient majoritairement « à chaud ». Je ne renie rien, ces émotions ont fait et font encore partie de moi.
Pourquoi je partage ce qui m’est arrivé? Parce que je me dis que si cela peut résonner pour une seule personne et l’aider, alors c’est formidable.
J’ai 47 ans, je m’appelle Olivia. Depuis 26 ans je chante professionnellement. J’ai chanté dans les soirées, anniversaires, mariages, cocktails. Avec des musiciens, en solo. Près de chez moi et parfois à l’étranger. Depuis l’âge de 21 ans, chanter est devenu mon métier. Un métier plaisir, certes, mais un métier avec ses avantages mais aussi, ses inconvénients.
J’ai un joli parcours de chanteuse, j’en suis fière d’ailleurs! J’ai chanté dans de très jolis endroits, j’ai contribué à des moments de bonheur pour des centaines de personnes. Cela m'a procuré et me procure encore beaucoup de joie!
J'ai parfois eu des coups de pompe mais je suis toujours repartie. Quelques jours de vacances et hop on y retourne! Parce que voyez-vous, je ne sais rien faire d’autre que chanter! Enfin, c'est ce que j'ai longtemps cru!
C’est un métier exigeant, il vous demande d’être en forme, de sourire tout le temps (vos problèmes n’ont rien à faire sur scène), d’avoir une bonne hygiène de vie (sinon on a une voix pourrie), on ne dort pas beaucoup (j’ai dit adieu à mes nuits de 8h non stop depuis que je chante…). Mais j’ai toujours dit OK!
Même après un nodule sur une corde vocale, des angines, des rhino-pharyngites, des extinctions de voix… Des signes qu’à l’époque je ne percevais pas.
On m’a demandé récemment si j’avais eu des signes avant-coureurs. Oui, beaucoup, énormément. Je les ai écouté. D’une oreille… Et ça passait. Mais là ça n’est plus passé.
Les plus gros signes furent en 2008, 2009, 2015…
Et un jour, j'ai 46 ans, je craque...
Depuis dix ans, j’interviens en EHPAD, je pratique la médiation artistique par le chant. Je travaille auprès de résidents souffrant de démences variées, parfois proches de la fin de vie. J’adore cela et j’en garde de merveilleux souvenirs, des échanges bouleversants d’humanité. Ils sont bien au chaud, au creux de mon coeur. Je suis intervenante dans 6 établissements et j'accepte un septième à l'automne 2020.
En juin 2021, je reprends les répétitions avec mes musiciens après 18 mois en OFF (merci le contexte sanitaire). Je me rends compte que ça ne m’a pas vraiment manqué. J’ai vécu le premier confinement de 2020 sur un petit nuage. Il fait beau, j’en profite pour écrire un projet pro qui me tient à coeur. Ok j’ai eu le coco mais ça a duré dix jours et ça s’est très bien passé. Je me suis collée une grosse trouille (merci les médias anxiogènes…) mais franchement j’ai connu des angines bactériennes pires donc ça va.
Je vais à cette première répétition le coeur assez léger et au moment où le batteur commence à jouer, je sens tout mon corps se crisper à l’intérieur. C’est effrayant… Je ne sais pas trop ce qu'il se passe, tout est trop fort, je regrette de ne pas avoir de bouchons d'oreilles dans mon sac. J'ai l'impression de tout ressentir de manière +++ au niveau sensoriel.
Je fais les quelques répétitions à contrecoeur mais nous avons des contrats en juillet et il faut y aller. Je garde cette sensation pour moi.
Je ferais ces dates dans un état second avec l’impression d’être hors de mon corps, l’envie d’être au calme sur mon canapé. Je me sens dissociée. Je suis sur scène et je me regarde chanter…
Puis arrivent les annonces de nouvelles restrictions sanitaires. Pour exercer mon métier, je vais devoir montrer patte blanche, c’est pour moi impensable.
Je décide de cesser la collaboration avec quasiment tous les établissements où j’interviens car j’ai besoin de temps pour réfléchir, me poser et prendre une décision. Je n’interviens plus que dans un seul lieu et je vais me faire chatouiller le nez pour obtenir le fameux sésame me permettant d'y accéder.
En parallèle, je continue à donner mes cours de chant et à animer des ateliers et des stages. La vie m’amène à suivre des formations en sonothérapie et à d’autres pratiques.
Mi-septembre 2021 je craque.
Je m’effondre dans ma voiture avant d’aller animer un atelier dans cet établissement et je pleure non stop. Je finis pas me calmer, au bout de 30 ou 40 minutes… Je vais animer mon atelier difficilement et je propose à l’animateur d'espacer mes interventions car elles deviennent, pour moi compliquées émotionnellement et psychologiquement.
Quelque chose s'est brisé. Je ne veux plus chanter. C’est hors de question. Les semaines et les mois qui suivront je dirais que j'ai fait mon temps et que je laisse ça aux jeunes! Rires...
J’accepte une seule prestation dans l'hiver, sur deux jours, pour un client très fidèle. Je dis ok pour ne pas le mettre dans l’embarras, pour que les musiciens qui m’accompagnent depuis des années aient leurs cachets. Je négocie avec moi-même, avec mon mal-être. Les répétitions sont pour moi compliquées mais je réussis à bidouiller.
Je fais ces deux jours dans un état second, je tiens le coup et je donne le change. Je connais l'astuce du sourire automatique avec un rouge à lèvres rouge flamboyant. Ça fait des années que je pratique.
Je me souviens qu’à l’époque je me suis sentie très incomprise. Une amie a essayé de me secouer et j’ai hurlé, j’ai craqué en larmes. J’ai envoyé voler le téléphone. Elle croyait bien faire, elle ne mesurait pas la profondeur du gouffre installé en moi. Elle a compris.
Ma famille a été extraordinaire et à l’écoute, mes amis proches également. Ma psy a été au top et j’ai consulté des copains thérapeutes, ça m’a beaucoup aidée à poser des mots et comprendre ce qu’il m’arrivait. On se recrée un nouveau cercle dans ces moments-là, plus restreint. Ça tombe bien, on n'a pas envie de voir grand monde.
On se sent tellement fatigué que la moindre interaction sociale nous demande beaucoup d'énergie.
Les restrictions sanitaires deviennent plus fortes et restrictives. Je cesse mes dernières interventions dans des lieux médico-sociaux. Je ne me résous toujours pas à céder à cette histoire de sésame. C’est dur financièrement mais psychologiquement cela m’allège. Je ne sais pas pourquoi, enfin si, je sais. Je ne suis plus dans une posture de sauveur. Celle où je fais tellement de bien aux autres avec ma voix, mon sourire et ma présence. On me fiche la paix.
Je ne chante plus tous les jours. Je donne mes cours en présentiel, deux jours par semaine, j’ai quelques cours en visio et basta. Mon emploi du temps est light. Ça ne m’est pas arrivé depuis des années… Ça me fait du bien et en même temps je culpabilise… Saloperies de croyances et d’injonctions!
Avant la période coco, je courais entre le studio que je louais et où je donnais mes cours et ateliers, les ehpads où j’intervenais, les répétitions, et les prestations le week-end.
Beaucoup de temps, d’énergie…
J’ai rendu le studio après le premier confinement. Je sentais que cette histoire n’était pas terminée. J’ai bien fait d’écouter mon intuition.
Plus de pression...
Un jour, j’ai craqué. Je me sentais comme une machine à chanter. Il ne me manquait que la fente pour y glisser des pièces… Appelez-moi "Olivia le jukebox"!
Je chantais tous les jours. Cours, ateliers, prestations… Même dans mon sommeil...
Je me souviens de l’anniversaire d’une amie cet été. Je chantais à chaque fête (ça me faisait plaisir), lui offrant une prestation et là j’ai dis que je ne le ferai pas. Elle l’a très bien compris. Mais quand les invités sont arrivés, ils ont été étonnés et déçus… Beaucoup me l'ont dit d'ailleurs.
Les gens n’imaginent pas que l’on puisse craquer. Pour eux c’est du loisir, du plaisir. Il ne peut en être autrement.
Et pourtant…
Je pense à tous ces événements où j'ai poussé la chansonnette car cela faisait plaisir aux amis, aux invités et où moi je n'avais, justement, plus de plaisir...
J’ai longtemps eu du mal à regarder en moi et à reconnaître que je n’allais pas bien.
C’est en septembre 2022 que j’ai commencé à me dire ça y est, c’est bon… tu peux y retourner mais fais attention à toi!
Aujourd’hui?
Je travaille en visio, j’ai quelques clients à domicile. J’interviens dans un local que je loue 2 jours par semaine en sonothérapie et cours de chant. J’anime des stages et des ateliers.
Mon angoisse a mis plus de 8 mois à commencer à dégonfler… Un an à disparaître à 80%. Mais je me sens encore sur un fil. Je suis prudente.
J’ai repris quelques prestations à doses plus qu’homéopathiques. J’ai tâtonné et je tâtonne encore.
Je remonte sur scène avec une émotion que je ne ressentais plus depuis longtemps : le plaisir!
Je choisis mes prestations, j’ai créé de nouveaux formats. J'ai de nouveaux projets qui ne sont pas en lien direct avec le chant et d'autres si, je continue à me former à d'autres pratiques qui n'ont rien à voir avec la voix.
Je fais chaque choix en fonction de moi-même, de mes ressentis, de mes envies et non plus en fonction d’autrui.
Et si c’était ça le secret? Se respecter et faire passer ses propres besoins avant ceux des autres.
Pas facile me direz-vous. Je suis d’accord. Mais la vie se charge de nous donner des leçons, à nous d’en tirer les enseignements… ou pas.
Une amie de longue date m'a récemment dit : "mais tu t'es toujours respectée dans tes choix Olivia".
Oui c'est vrai. J'ai fait mes choix professionnels, souvent en dehors des clous, et je les ai toujours assumés. Mais parfois on s'enferme dans une spirale que l'on a soi-même créé et qui est devenue rassurante. C'est une zone de confort. Et un jour elle devient notre ennemie. J'ai créé mon propre piège et j'ai mis du temps à en prendre conscience.
Je voulais poser ces mots depuis un moment, et aujourd’hui ils sont venus. Je les partage ici.
Ce n’est pas de l’exhibitionnisme de ma part, mais simplement un partage d’expérience.
Peut-être qu’ils vous aideront, ou pas. Sachez que derrière les nuages, il y a toujours le soleil...
Je vous embrasse et prenez soin de vous.
Olivia
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